Cancer du sein : les vrais progrès
Nous connaissons tous, dans notre entourage, un ou plusieurs cas de cancer du sein. En effet, une femme a plus d'un risque sur dix de développer un cancer du sein. Depuis un demi-siècle, des bouleversements scientifiques se succèdent, tant au niveau du diagnostic, du dépistage que du traitement. Le point sur les derniers « vrais » progrès avec le Dr Hubert Crouet (1).
Le nombre de cancers du sein avant 50 ans est en constante augmentation. Comment savoir si on doit se faire dépister avant cet âge ?
Dr Hubert Crouet : L'incidence du cancer du sein est en augmentation : elle a doublé en vingt ans. Certes, il survient de plus en plus souvent avant 50 ans, mais l'âge moyen du cancer ne change pas et se situe aux alentours de 60-65 ans. Le cancer n'est pas, proportionnellement, plus fréquent chez les femmes jeunes. Les effets du dépistage ne peuvent s'apprécier que sur de grandes populations. Les études scientifiques dont nous disposons ont montré que le bénéfice était très net (diminution de 20 à 30% de la mortalité par cancer du sein) après 50 ans, à condition qu'une proportion suffisante de la population (plus de 60%) en bénéficie. Avant cet âge, les résultats sont encore incertains, même si un bénéfice est possible entre 45 et 50 ans. À l'inverse, un certain nombre de cancers du sein peuvent être découverts plus tôt, par des mammographies systématiques réalisées avant 50 ans. Le bénéfice réel de ce dépistage individuel est extrêmement difficile à affirmer : il peut, dans certains cas, ne représenter qu'une simple avance au diagnostic qui ne fera que décaler l'entrée dans la maladie sans en modifier le cours.
Pourquoi arrêter le dépistage du cancer du sein à 75 ans ? Beaucoup de cancers du sein commenceront après cet âge.
Dr Hubert Crouet : Il est exact que le facteur de risque principal du cancer du sein est l'âge et que de nombreux cancers sont découverts après 70 ans. La limite supérieure de l'âge au dépistage a, pour cette raison, été repoussée en France de 70 à 75 ans. Le cancer du sein est le plus souvent une maladie d'évolution relativement lente. Prolonger un dépistage chez des personnes âgées, dont le risque de décès d'une autre cause est important, peut entraîner des phénomènes de "surdiagnostic". S'acharner à découvrir des petites lésions et des lésions précancéreuses chez des patientes qui n'en auraient jamais souffert et qui seraient décédées d'une autre cause revient, souvent, à les mettre, pour les dernières années de leur vie, dans des processus de diagnostic et de traitements qui entraîneront plus de désagréments que d'avantages, pour une maladie dont elles n'auraient, peut-être, jamais souffert. À l'inverse, bien sûr, si la maladie se traduit par des gênes, locales ou générales, le traitement s'impose pour éviter que la fin de leur vie ne soit gâchée.
Le président de l’Institut du cancer a déclaré qu’il existait en cancérologie des centres d’excellence et des mauvais centres. Quels conseils donner aux patientes pour choisir une bonne équipe ?
Dr Hubert Crouet : Il faut laisser au président de l'INCa la responsabilité de ses propos. La définition de ce qu'est un "bon" ou un "mauvais" centre reste à débattre et les critères à définir. La cancérologie est, comme la médecine, trop complexe pour être résumée de façon binaire "bon ou mauvais" : un bon chirurgien est-il celui qui opère beaucoup, qui pose de bonnes indications ou qui sélectionne ses patientes, qui explique bien ou qui n'est que bon technicien, qui assure la suite du traitement ou celui dont les résultats en termes de morbidité et de mortalité sont les meilleurs ?
Le conseil que l'on peut donner à une patiente est de s'adresser à l'équipe et aux médecins dans lesquels elle a confiance, quels que soient les éléments sur lesquels est basée cette confiance. Un certain nombre de critères doivent permettre d'asseoir cette confiance et ils sont plus en rapport avec des aspects humains qu'avec des considérations techniques :
- choisir une équipe qui prend en charge, annuellement, un nombre suffisant de patients et, pour la chirurgie, des chiffres d'activité minimale seront sans doute publiés prochainement par l'INCa ;
- choisir des praticiens qui travaillent en équipe regroupant toutes les facettes du diagnostic et du traitement (sénologie, chirurgie, radiothérapie, oncologie). Cela peut être dans un centre unique ou dans des centres complémentaires travaillant en réseau ;
- choisir des praticiens qui laissent des portes ouvertes dans les choix thérapeutiques et qui, au besoin, autorisent et tiennent compte d'un second avis.
En deux mots, quelles sont les grandes avancées récentes dans la prise en charge de ce cancer ?
Dr Hubert Crouet : L'avancée la plus importante est sans doute la diffusion puis la généralisation du dépistage. La découverte de tumeurs de plus en plus petites à des stades de plus en plus précoces modifie considérablement le pronostic et les modalités des traitements. Ce développement du dépistage a également entraîné une amélioration du diagnostic. Les appareils de radiologie sont maintenant contrôlés, les radiologues et les manipulateurs formés à la sénologie. Des avancées techniques sont nées de cette meilleure analyse des images, en particulier des moyens de prélèvements non chirurgicaux plus performants. Cette amélioration des conditions du diagnostic relativise les progrès thérapeutiques.
En ce qui concerne la chirurgie, les avancées vont vers une limitation de l'agressivité et, si l'ablation du sein reste parfois nécessaire, la limitation des prélèvements ganglionnaires par la technique du "ganglion sentinelle" est une réduction considérable des inconvénients liés à la chirurgie du cancer du sein.
Les traitements médicaux sont, eux, à l'inverse, de plus en plus souvent proposés et les chimiothérapies actuelles comportent des drogues dont la toxicité à court et long terme n'est pas nulle. Il importe, pour chaque patiente, d'essayer d'apprécier avec ses médecins, le bénéfice réel escompté chez elle de ces traitements et ce d'autant que les facteurs de pronostic sont favorables sur des tumeurs découvertes par dépistage.
L'avenir est sans doute à des thérapeutiques adaptées, non pas à la patiente comme certains se plaisent à le dire, mais à sa tumeur. Les caractéristiques biochimiques et génétiques de chaque tumeur sont de mieux en mieux étudiées et on mettra probablement au point des traitements spécifiques de ces tumeurs. Cette recherche des "thérapeutiques ciblées" n'en est qu'aux balbutiements, même si un médicament de ce type est déjà commercialisé à grand renfort de battage médiatique. Ces traitements ne s'adressent et ne s'adresseront qu'à des patientes dont la tumeur présente certaines caractéristiques, ce qui ne représente, pour l'Herceptine par exemple, qu'une faible proportion de femmes. Par ailleurs, leur efficacité et leur toxicité à long terme sont mal connues. Et enfin, leur utilisation prolonge de façon importante la durée des traitements.
E-Santé